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Le secteur financier prend en compte de façon croissante les risques, dans ses analyses, liés au changement climatique – en particulier grâce à l’action du NGFS, réseau international de banques centrales et de régulateurs. Précisions et analyses de Jean Boissinot, adjoint au directeur de la stabilité financière à la Banque de France et responsable du secrétariat du NGFS.

En quoi l'évolution du climat représente-t-elle un risque pour les banques et institutions financières ?

Le changement climatique n’est plus un phénomène hypothétique. Depuis le début de l’année, les épisodes de canicule, de sécheresse, les inondations, les feux de forêt de grande ampleur, etc., se sont multipliés, souvent avec une intensité rarement observée et parfois dans des régions où ces phénomènes étaient tout à fait inédits. Ces épisodes sont tragiques pour les populations qui en sont victimes. Au-delà de leur coût humain, elles ont aussi un coût économique et financier. Les dommages causés par des catastrophes naturelles peuvent être chiffrés à environ 270 milliards de dollars en 2021 ; les répercussions économiques indirectes sont au moins équivalentes et probablement supérieures d’un ordre de grandeur. Néanmoins, pendant longtemps, les impacts économiques et financiers du changement climatique sont restés dans un « angle mort » de l’analyse financière, malgré leur caractère connu. Ces risques physiques, comme les risques de transition qu’induit un renforcement des politiques climatiques (en particulier lorsqu’elles ne sont pas anticipées), ne sont plus négligeables même si, à ce stade, ils ne semblent pas de nature à déstabiliser le système financier. Ce qui est, en revanche, préoccupant, c’est la vitesse à laquelle ces risques peuvent croître dans les années qui viennent s’ils ne sont pas gérés proactivement. Le changement climatique représente un « cygne vert » (« green swan ») : un risque de très grande ampleur et inéluctable (la seule incertitude concerne le moment et la forme de ce risque).  

  • RISQUES PHYSIQUES

Les risques « physiques » résultent des effets du changement climatique sur les acteurs économiques. Il peut s’agir de risques chroniques (augmentation des températures moyennes, changement de régime de précipitations, montée du niveau des mers) ou aigus (évènements météorologiques extrêmes, feux de forêt, etc.).

  • RISQUES DE TRANSITION

Les risques « de transition » recouvrent l’ensemble des risques induit par les changements structurels de l’économie dans sa transition vers la neutralité carbone : choc réglementaire ou obsolescence technologique des actifs liés à l’usage des énergies fossiles, changement de comportement des consommateurs, risques de bulles, de surinvestissement, etc. La plupart du temps, ces risques prennent naissance dans le décalage entre les anticipations des acteurs et les actions d’autres.

   

Comment les régulateurs et superviseurs se sont-ils emparés du sujet des « risques financiers climatiques » ?

Prenant conscience, en amont de la COP21 en 2015, de la nature des risques financiers liés au changement climatique et, plus généralement, du caractère « macroéconomique » de la transition vers la neutralité carbone de l’économie mondiale, les banques centrales se sont intéressées au changement climatique non pas malgré ou au-delà de leurs mandats, mais dans le cadre et en raison même de ces mandats (stabilité des prix, stabilité financière). Cette approche peut sembler un peu distante comparée à celle des acteurs du développement qui sont directement engagés dans le financement de la transition. Si elle est sans doute plus discrète, elle est néanmoins tout aussi importante : le succès de la transition passe par notre capacité collective non seulement à réaliser les « investissements verts », mais à s’assurer aussi de la cohérence de l’allocation de capital dans son ensemble avec les contraintes climatiques. Très concrètement, sept ans après la COP21, cet agenda qui résonne avec l’objectif 2.1.c de l’Accord de Paris est désormais entré dans une phase de mise en œuvre : les superviseurs commencent à tirer des conclusions opérationnelles des stress tests. Dans le même ordre d’idée, les développements macroéconomiques en jeu dans la crise énergétique actuelle et ses interactions avec la transition sont très présents à l’esprit des banques centrales lorsqu’elles décident de leur politique monétaire.  

 

Dans ce contexte, quel est le rôle du NGFS, qui rassemble 12 banques centrales et superviseurs financiers à travers le monde ?

Très vite, les banques centrales ont pris la mesure de ce qu’impliquait en pratique l’obligation de prendre en compte les enjeux climatiques dans l’ensemble de leurs activités. Par exemple, la conduite de stress tests est apparue comme une nécessité. Elle se heurtait cependant à l’indisponibilité des scénarios traduisant en termes macro-financiers les conclusions du GIEC. Or, ces projections sont trop complexes pour être produites par une institution individuelle. Le besoin d’une plateforme de collaboration entre banques centrales s’est donc rapidement imposé et, en décembre 2017, à l’initiative de la Banque de France, huit banques centrales (Allemagne, Chine, France, Mexique, Pays-Bas, Royaume-Uni et Singapour) et superviseurs (Suède) ont créé le NGFS pour développer cette approche collaborative. La collaboration s’est développée sur des sujets divers : formalisation des meilleures pratiques de supervision ou d’investissement pour les portefeuilles non monétaires, développement de scénarios, travaux sur les données, etc. C’est l’une des forces du NGFS : les travaux engagés sont avant tout techniques, les éventuelles différences d’appréciation politique relèvent d’autres forums de discussion (G20, FSB, etc.). Par ailleurs, la valeur de la collaboration est apparue évidente à de nombreuses autres institutions, qui ont rejoint le réseau pour y contribuer mais aussi pour « monter » elles-mêmes en compétences en participant aux travaux. Vu du secrétariat, la dynamique est impressionnante, à la fois en termes de sujets couverts (toutes les activités des banques centrales sont désormais abordées) mais aussi de profondeur et de qualité de ces travaux.  

 

Selon vous, cette approche par les risques peut-elle encourager le secteur privé à investir dans l'adaptation ?

L’investissement dans l’adaptation est à la fois une nécessité absolue et un véritable défi. Nécessité absolue dans la mesure où, même si nous réalisons une transition rapide vers la neutralité carbone, l’inertie climatique implique une augmentation des risques physiques pour encore 15 à 20 ans. Véritable défi puisque l’adaptation est avant tout une manière de limiter des coûts futurs et qu’il n’y a pas systématiquement de cash flows sur la base desquels bâtir un business model. L’approche par les risques ne change pas radicalement ce second constat mais, en reconnaissant mieux les risques, on apprécie mieux également la valeur de l’adaptation et le secteur financier pousse alors à des investissements adaptés à défaut d’investissements spécifiques dans l’adaptation, qui restent souvent la responsabilité de la puissance publique.

Jean Boissinot

Responsable du secrétariat
Network for Greening the Financial System (NGFS)

Parcours

Adjoint au directeur de la stabilité financière à la Banque de France, Jean Boissinot est également, depuis 2021, responsable du secrétariat du NGFS. Avant de rejoindre la Banque de France en 2018, il a exercé différentes fonctions à la Direction générale du Trésor, au HM Treasury, à l’INSEE ou encore à l’OCDE. Il a notamment été en charge de l’agenda Finance privé de la COP21 et, plus généralement, du développement de la finance verte pour le ministère des Finances (2012-2018).

Network for Greening the Financial System (NGFS)

Le Network for Greening the Financial System (NGFS) rassemble 121 banques centrales et superviseurs de 90 juridictions différentes. Les travaux du réseau visent à faciliter la prise en compte des enjeux climatiques dans l’ensemble des activités des banques centrales (politique monétaire, stabilité financière, supervision, etc.). La Banque de France héberge le secrétariat permanent de l’initiative, qui accueille également des personnels des membres du NGFS.

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